Alexander McQueen: le cri derrière la couture

"Je vois la beauté dans les choses laides. Je vois l’énergie dans les choses mortes”. 

La dualité d’une beauté brute et d’une souffrance profonde

Alexander McQueen, né Lee Alexander McQueen en 1969 à Londres. Ce n’était pas simplement un couturier de génie à mon sens, il était un conteur du tragique et du mélodrame. Ses défilés étaient des performances viscérales, où la mode devenait langage, cri et parfois exorcisme. Derrière le tailoring chirurgical et les silhouettes spectaculaires, se cachait une âme tourmentée, marquée par une dépression profonde et persistante. Ce paradoxe entre contrôle esthétique et désordre intérieur constitue l’essence même de ses inspirations et son œuvre.

Mais pour le comprendre il faut revenir au début dans la biographie autorisée "Blood Beneath the Skin" de Andrew Wilson (2015), l’auteur décrit l’enfance difficile de McQueen, marquée par des violences et une homosexualité vécue dans un contexte familial peu tolérant. Très jeune, McQueen développe un intérêt pour la mode, un refuge autant qu’une manière de sculpter le réel selon sa volonté.

"Je voulais que les gens aient peur de la femme que je habille", déclarait-il – non par misogynie, mais comme réplique au monde oppressant qu’il avait subi”.

Illustration by LaurieA - inspiration de la cover V magazine

La dépression comme moteur esthétique

La santé mentale fragile de McQueen est documentée dès ses premières collections. À l'école Central Saint Martins à Londre, sa collection de fin d'études, Jack the Ripper Stalks His Victims (1992), mêle déjà le morbide au sublime. Le fil rouge dans les coutures imite des veines ouvertes, ses mannequins incarnent des femmes-fantômes. Il dira plus tard à ses proches que ces vêtements sont des autoportraits. Oserais-je dire une autobiographie voir même le miroir de son âme.

Sa dépression, qu’il ne cache pas à ses amis, s'aggrave avec la célébrité. La pression créative s'accélère et s’intensifie au fur et à mesure des collection. Les délais intenses chez Givenchy puis sous sa propre maison, et la perte brutale de sa mère en 2010 précipitent son effondrement psychique. Dès sa première collection, McQueen manipule le corps féminin comme une archive de violence, entre glamour et terreur.

Deux pièces de sa première collection “Jack the Ripper Stalks His Victims” (1992), notamment le manteau « thorn-print » intégrant des cheveux humains encapsulés dans du plexiglass

L’apothéose esthétique du désespoir : VOSS (2001)

Le défilé VOSS, présenté pour la saison printemps-été 2001, est peut-être l'exemple le plus pur de la manière dont McQueen transforme la souffrance mentale en expérience immersive.

Le public fait face à une boîte miroir, dans laquelle les mannequins sont enfermées. Le spectacle commence avec 90 minutes de silence une punition autant qu’un prélude. Les mannequins, enfermées dans cette pièce capitonnée, rappellent une chambre d’asile. Elles tournent en rond, gesticulent, certaines s’effondrent. Au centre, un cube de verre qui finit par se briser, révélant une femme nue coiffée d’un masque respiratoire, entourée de papillons, inspirée de Sanitariumde Joel-Peter Witkin.

Cette mise en scène évoque littéralement l’expérience du confinement mental, de l’observation psychiatrique, de l’étrangeté du soi.

"La laideur peut être belle", disait-il. Chez McQueen, la psychose devient théâtre, l’angoisse devient catharsis.

Mort d’un prince de la mode

Le 11 février 2010, McQueen se donne la mort dans son appartement londonien, neuf jours après le décès de sa mère. Il avait 40 ans. La veille, il travaillait encore sur sa collection automne-hiver 2010 intitulée Plato’s Atlantis, une ode au monde submergé, préfigurant presque son propre engloutissement.

Dans son livre Gods and Kings (Dana Thomas, 2015), (livre que je recommande si vous aimez McQueen et/ou Galliano), la journaliste explore la tension entre les attentes de l’industrie et la détérioration psychologique de ses créateurs. Pour Mcqueen, E-elle évoque un homme à la fois dévoré par ses visions et vidé par le système.

Une œuvre thérapeutique et prophétique

McQueen a redéfini la haute couture non comme un luxe décoratif, mais comme une autopsie du psychisme humain. Ses collections sont des chapitres d’un journal intime crypté. Il a fait de ses traumatismes une matière première pour ses inspirations, le corps devient sculpture, les robes deviennent cicatrices, les looks deviennent combats.

Dans The Fashioned Body de Joanne Entwistle (2000), l’autrice note que "le vêtement, chez McQueen, n’est pas ornement : il est langage, parfois cri de douleur, parfois coup de scalpel". Il fait du défilé un espace ritualisé où l’indicible prend forme.

Le mot de votre rédactrice

Pour moi Alexander McQueen fut l’un des rares créateurs à avoir exposé sa vulnérabilité avec autant de franchise, que cela soit au travers de certains interviews, mais dans la chair même de ses œuvres. La dépression, loin d’être dissimulée, fut intégrée comme un moteur créatif. La haute couture, chez lui, n’est pas un masque ou une vulgaire énième collection, c’est un miroir sans tain, où l’on voit l’ombre qui habite le génie. Cet article me tenait à coeur, car cette c’est l’un voir même MON créateur préféré qui ma ouvert les yeux sur cette mode si lisse, si neutre. Alexander Mcqueen ne fait pas du beau il transforme ses maux, ses peurs, ses douleur en une chimère de beauté dérangeante.

Pour finir j’aimerai simplement vous expliquer ce que ce créateur à changer pour moi. À mes yeux Alexander McQueen écrivait l’histoire avec sa mode et je racontais la sienne à travers elle. Il tissait des fragments d’âme, il sculptait l’histoire à coups de couture et murmurait la sienne dans chaque pli, chaque éclat. La maison McQueen fut la première à m’ouvrir les yeux sur une mode qui dépasse l’esthétique, qui murmure, qui bouleverse. Quand j’étais plus jeune, plus naïve, je voyais la mode comme une simple beauté, figée, presque lisse. J’aimais déjà l’histoire de la mode, certes, mais je ne m’attardais jamais vraiment sur ces créateurs à part, ceux qui déchirent les codes et parlent en silence. Enfin, Lee Alexander McQueen n’a jamais été silencieux, il parlait fort, il dérangeait, il secouait les fondations du monde de la mode. Jusqu’au jour où j’ai découvert Voss ! Cette collection m’a transpercée, il a dérangé, questionné, bouleversé ma vision de cette mode lisse et impeccable. Je venais de traverser une période trouble, j’entrais en école de mode, le cœur encore un peu bancal. Et Voss a résonné en moi comme un cri que je n’avais pas su formuler, que je voulais étouffer. C’est là que mon amour pour la vision de McQueen m’est apparu : limpide, viscéral, nécessaire. Je me suis retrouvée à travers lui, dans une vision que je ressentais sans pouvoir l’expliquer, une vision que je n’osais pas dire. C’était une inspiration, presque un miroir. Dans sa complexité, il rendait l’étrange magnifique.

VOSS, Alexander McQueen, Printemps/Été 2001. Coquilles d’huîtres, soie, verre dépoli. Domaine public via The Metropolitan Museum of Art. La scénographie de VOSS enfermait les mannequins dans une chambre capitonnée, inversant le regard : c’est le spectateur qui devenait cobaye.

Sources bibliographiques :

  • Wilson, Andrew. Alexander McQueen: Blood Beneath the Skin. Simon & Schuster, 2015.

  • Thomas, Dana. Gods and Kings: The Rise and Fall of Alexander McQueen and John Galliano. Penguin Press, 2015.

  • Entwistle, Joanne. The Fashioned Body: Fashion, Dress and Modern Social Theory. Polity Press, 2000.

  • Bolton, Andrew. Alexander McQueen: Savage Beauty. Metropolitan Museum of Art, 2011.

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